Galette des Rois 2007 : une fève de plus dans mon tiroir... une de moins au ratelier de mon époux !
Dimanche soir, j'ai dit au revoir à mes petits-enfants. J'ai eu le coeur un peu lourd ensuite, et mon lundi a été quelque peu teinté de mélancolie.
Nous avons tiré les rois lors du dîner, avant leur départ.
Antoine était venu rechercher Emily pour la ramener à Reims où elle vit avec sa mère, Nelly, une charmante jeune femme anglaise qui donne des cours au lycée. J'aurais préféré, bien sûr, qu'Antoine fasse sa vie avec Nelly, mais il est d'une nature trop donjuanesque pour cela. Tant pis, je m'y suis résignée et, ma foi, je dois convenir qu'une certaine harmonie se dégage du couple qu'ils ne forment plus. Une harmonie sans commune mesure avec celle qui règne entre Maryline et son Paul, ou encore... entre... hum.
Heureusement, mes deux petits-fils ont déguerpi eux aussi, j'ai moins de regret en ce qui les concerne. De plus, au vu des problèmes matrimoniaux que Maryline s'efforce d'affronter en ce moment, je crains fort d'avoir droit au retour de ces deux fléaux dès le week-end prochain. Perspective qui, curieusement, enchante ce pauvre gaga de Fernand, en dépit du cruel incident de la galette des Rois de dimanche.
Nous étions sept à dîner, Fernand et moi, Antoine, Maryline et les trois enfants.
J'avais pris une belle galette chez Daniel, neveu de Fernand et actuel patron de la boulangerie créée jadis par les parents de Fernand. C'est la seule boulangerie du village. Pas mauvaise dans ses fabrications — à part les gougères, que cette fichue famille n'a jamais su faire, même si Fernand se met en fureur quand il me l'entend dire.
Au moment du dessert, il y a eu bagarre entre cousins pour savoir qui aurait l'honneur d'aller sous la table.
Finalement, Emily étant la plus jeune avec ses presque douze ans, nous avons départagé tout ce petit monde par le critère de l'âge. Fiers de leurs treize ans, les jumeaux, habituellement disqualifiés par leur sottise, le furent ce jour-là par leur grand âge — lequel est sans conteste ce qu'ils ont accompli de plus grand dans leur vie.
— Alors... pour qui, celle-là ? ai-je demandé, la première part prête à servir sur la pelle à tarte.
— Pour mémé !
— Oooh merci ma chérie !... Et pour qui celle-là ?
— Pour tante Maryline !
— Et celle-là ?
— Celle-là, pour pépé !
— Aaah la belle galette que voilà ! a éructé Fernand. On voit qu'elle vient de chez un spécialiste ! Et dis voir, si tu faisais péter un peu de pinuche, Antoine, faut pas nous laisser en cale sèche comme ça !
Antoine s'est saisi de la carafe de bourgogne pour ravitailler le verre de Fernand.
— Et pour qui celle-là ? ai-je continué dignement, essayant de faire oublier que mon époux ne pense qu'à se remplir la cale, et qu'il passe son temps à le crier à tous les vents.
— Pour papa !
— Et celle-là ?
— Pour cette grosse andouille de Parfait !
Gloussement de l'intéressé, avant cette protestation fort malpolie : "Hé ho Mémé, mais regarde, elle est toute petite !" (protestation que j'ai royalement ignorée, car j'ai horreur de l'impolitesse comptable).
— Et pour qui la dernière ?
— Eh bien, pour le seul vrai débile qui reste, mémé !
Emily n'est pas coutumière des insultes, mais Pierrick lui avait tiré les cheveux quelques minutes auparavant. Le garnement a émis un rire strident qui m'a électrocuté le circuit nerveux depuis le tympan jusqu'à l'orteil gauche. J'ai balancé sévèrement sa part dans l'assiette qu'il me tendait : "Tu ne mérites pas d'avoir la fève, en tout cas !" lui ai-je dit.
Deux secondes plus tard, ce vaurien s'écriait :
— Ouaiiiiiis j'ai la fèèèèèève, j'ai la fèèèèèèèève !
Fernand s'est instantanément détendu.
— Ouf, maintenant que c'est fait, on peut y aller sans crainte ! a-t-il déclamé avec élégance avant de planter gaillardement ses chicots dans sa part de galette.
Un cri de surprise a accompagné le bruit de bois cassé.
— Hé mais quoi ! Il y a combien de fèves là-dedans ??? s'est-il exclamé en récupérant à pleines mains des débris dans sa bouche, non sans nous faire détourner la tête d'épouvante.
Les vauriens se sont mis à ricaner. Nous avons tous eu alors le réflexe de soulever nos parts de nos assiettes. Toutes sans exception étaient grossièrement trouées et fourrées d'une fève par en dessous.
Les jumeaux ne se sont pas démontés :
— Hé, c'est en voyant toutes les fèves que tu gardes dans ton tiroir, mémé ! Ça nous a donné des idées !
Ils en avaient ajouté six, en sorte que la galette en contienne une par personne.
Sont-ils sots, mon Dieu.
— Vois un peu comme ils sont généreux ! s'est exclamé Fernand la bouche grande ouverte en me présentant mes petits-fils d'un grand geste noble.
Je n'ai pas pu répondre, trop occupée à réprimer ma nausée au spectacle de son gosier plein de gâteau et de la pauvre dent qui ornait à présent le rebord de son assiette.
Tandis que je levais les yeux au Ciel, Maryline s'est brusquement levée et a filé au dehors par la porte d'entrée. "Allons bon, me suis-je dit, elle s'est vexée d'avoir des enfants aussi sots."
Mais voilà que nous l'avons vue revenir et se jeter littéralement sur son père avec des trémolos dans la voix :
— Papa, mon papa, voilà pour te consoler ! Je l'ai achetée au marché de Noël !
— Euh, une peluche... euh, pour moi, tu crois vraiment ? a dit Fernand, un peu étonné, tandis que je me demandais pour ma part si nous étions tombés dans un asile de fous.
— C'est une bouillotte, papa, pour toi. Elle est remplie de noyaux de cerise et de grains de blé, tu la mets au micro-ondes et tu as bien chaud pour t'endormir.
— Hum, hum... ai-je dit en sourdine.
— Quelle bonne idée ma chérie ! Nous achetons un micro-ondes demain ! a clamé Fernand, ravi.
Quand je pense que cela fait dix ans que je lui réclame un micro-ondes à cor et à cri, sans le moindre succès ! Sous prétexte que sa retraite est (fort injustement) plus élevée que la mienne, il s'est toujours cru fondé à me refuser ce micro-ondes en dépit du besoin que j'en ai, au nom de la saine et frugale gestion que réclament nos vieux jours... Alors qu'il embrassait sirupeusement Maryline, j'ai vraiment eu envie de lui taper dessus.
— Et tu verras, c'est plus confortable que ta vieille bouillotte, lui a dit Maryline.
— Ah cela, c'est certain !... Aaaaah, enfin le bonheur ! lui a répondu son père.
Affront encore pire pour moi que celui du micro-ondes : car pour le coup, cela fait au moins trente ans que je le supplie nuit et jour, en vain également, de consentir à mettre sa vieille bouillotte au rebut.
Regardez-moi ça... Un objet pareil tiendrait mieux sa place au musée des horreurs que dans un lit conjugal convenable.
Fernand tient à cette bouée en ferraille comme à la prunelle de ses yeux, il n'a jamais voulu la lâcher, malgré mes demandes répétées.
Certes, il est vrai qu'elle est bien chaude en début de nuit, qu'elle n'occasionne aucune fuite, qu'elle ne se retourne pas : il est indéniable qu'elle a de vraies qualités — dont la plus grande aux yeux de Fernand, je le soupçonne, est celle de lui venir du lit de ses parents. Mais pour ma part je sursaute à son contact brutal en pleine nuit, quand mes pieds s'aventurent dans un demi-sommeil du côté des pieds de Fernand ; et j'apprécie encore moins le choc contre une bouillotte de métal qui a totalement refroidi.
Quelle journée, mon Dieu !
Pour nous résumer, lors de ce dimanche des Rois, Fernand a perdu une de ses dernières dents, les deux vauriens ont été complimentés pour leur bêtise, et Maryline m'a obtenu au moyen d'un cadeau imbécile deux trophées que je n'ai jamais réussi à conquérir en plusieurs années de stratégie acharnée.
Grrrr.... quel bilan ! Je crois que je n'ai jamais connu Epiphanie plus agaçante.
Pour couronner le tout, Fernand m'a appris le soir même qu'il ne comptait absolument pas se défaire de sa bouillotte originelle sous prétexte d'une nouvelle dotation :
— Abondance de biens ne nuit pas, Georgette ! a-t-il crachoté de sa bouche presque vide.
Frappés ensemble de ce qu'il venait de dire et dans quel état, nous nous sommes couchés sur un éclat de rire.
Ecrit par Georgette le Lundi 8 Janvier 2007, 16:23 dans "Desserts"
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Commentaires
Bravo !!
Missand - le 08-01-07 à 17:26 - #
Georgette, je suis arrivée chez toi sur les recommandations de Venezia, et j'en suis bien contente ! Ton Blog est très drôle, et ta recette de chapon me fait bien envie (en plus, je suis bressane, alors l'approvisionnement ne fait pas défaut !) ! J'attends avec impatience la suite de tes aventures.
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Clot - le 08-01-07 à 18:05 - #
Bah? Pas de recette aujourd'hui? Étant données les circonstances, je m'attendais à avoir une recette de soupe (plus facile à avaler sans dents pour Fernand) à faire chauffer au micro-ondes!
Cuisine ou pas, la recette de ce blog est toujours aussi savoureuse!
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salwa - le 08-01-07 à 19:26 - #
Je viens de decouvrir ton blog grace à mon forum , Il est tout simplement genial et tres sympathique , je pense que je vais errer par là plus souvent.
Merci egalement de m'avoir mise en lien ! bisous
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Olivia - le 09-01-07 à 10:27 - #
Je me joins au concert de louanges pour te dire à quel point je suis heureuse d'avoir découvert ton blog. Quel humour, quel style !!!
Je suis ravie d'avoir fait une aussi belle trouvaille ...
Merci pour ce moment de bonne humeur ... à bientôt !
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Poésie - le 09-01-07 à 19:54 - #
C'était juste pour passer faire un petit coucou. J'espère que Fernand ne t'a pas fait trop de misères aujourd'hui ! C'est quand la prochaine petite recette ?
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emilie - le 09-01-07 à 21:29 - #
quel humour !! vos textes sont trés agréables à lire ! Je vous tire mon chapeau !
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Anne Cé - le 10-01-07 à 01:00 - #
Je découvre ton blog depuis quelques jours, je suis conquise !
Chez moi, la galette est généralement moins épique : la plupart du temps, j'oublie la fève !! ;o)))
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Anna(mesmetsetmoi) - le 10-01-07 à 02:21 - #
Vive les ptits jeunes hein.. ;-) Enfin avec un peu de chance, dans une bonne 15-aine d'années ça ira mieux ;-)
Au fait...j'ai presque la même bouillote...évidemment celle en forme d'ours, pas celle en métal, grands dieux...! ;-)
A très bientôt et merci pour ce billet...
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Mijo - le 10-01-07 à 09:50 - #
Ef qu'il parle un feu comme fa l'édenté qui vit avec vous ?
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Georgette - le 10-01-07 à 10:06 - #
Oui Mijo, comment le savez-vous ? Vous n'avez pourtant pas encore l'âge de ces réjouissances.
Dès qu'il aura un dentier, ce qui est prévu pour bientôt, mon époux recommencera à faire le beau auprès des femmes mais sa diction empirera certainement pendant quelque temps. Ah on peut dire que l'avenir promet...
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Mijo - le 10-01-07 à 10:17 - #
C'est juste que votre époux a du regarder derrière votre épaule au moment où vous tapotiez votre texte au clavier, il reste des traces de postillon sur votre copie !!
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Georgette - le 10-01-07 à 10:34 - #
Mijo vous avez la langue bien pendue mon enfant, mais les postillons étaient sans doute sur vos lunettes, car Fernand n'accède pas à l'ordinateur. Non point que je l'en empêche, c'est juste que cela ne l'intéresse pas. Et bien entendu il ignore tout des propos que je m'autorise à tenir ici...
Pour en revenir à vous, Mijo, je ne doute pas que vous ferez une parfaite épouse, pleine de sollicitude notamment, pour votre "..." (je ne dis pas son prénom pour ne pas lui causer de tort indirectement) lorsqu'il aura atteint l'âge de Fernand. Comme je m'en réjouis pour lui !... ;-)
Bien amicalement à vous,
Georgette
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Gracianne - le 10-01-07 à 12:27 - #
Mais je suis sure que c'est une bonne epouse Mijo. Il a une bouillotte Chef Olivier?
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Georgette - le 10-01-07 à 13:13 - #
Il a Mijo... ce qui doit être largement incomparable en termes de confort et de plaisir pour l'âme.
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Gracianne - le 10-01-07 à 13:17 - #
C'est bien ce que je voualais dire chere Georgette :)
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Georgette - le 10-01-07 à 13:33 - #
Vous savez Gracianne, vous me faites du mal en vantant ainsi les mérites de notre amie Mijo... C'est que j'échangerais volontiers la charmante Mijo contre la bouillotte de mon époux, voire contre mon époux lui-même !
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Mijo - le 10-01-07 à 14:30 - #
Bigre !!!
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Cathy - le 10-01-07 à 17:07 - #
Je ne sais pas ce qui est le plus savoureux de l'épopée du la galette ou des commentaires qui suivent !
Ma seule déception est que vous ne l'ayez pas faite vous-même chère Georgette , bien que j'ai e beaucoup ri à l'énoncé des déboires de Fernand !
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Annellénor - le 11-01-07 à 16:03 - #
Comme dit Cathy, il est aussi plaisant de savourer votre humour dans l'article écrit que dans les commentaires !
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Lolo d'Abracadabra - le 14-01-07 à 19:55 - #
Bonjour Georgette,
Je viens de découvrir votre blog avec délice et beaucoup de bonne humeur, je dois dire.
Quelle franche rigolade!
Merci pour votre humour et pour vos recettes qui me font saliver!
Je reviendrai souvent, et vais vous rajouter de ce pas dans ma rubrique "Cuisine et Cie".
Amicalement,
Laurence
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← Re: asgdfh
sfsdg - le 14-06-19 à 12:36 - #
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Re: asgdfh
google - le 14-06-19 à 12:37 - #
ct yff kjknh8u kuhiugbh
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google - le 14-06-19 à 12:39 - #
google
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Merci !
Isa - le 29-03-23 à 05:02 - #
Toujours très drôle et de nombreuses bonnes recettes sur ton site !
EnSauce
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